Alors que le centre de Vincennes rouvre aujourd’hui, un collectif de militants publie un recueil de témoignages des retenus, récoltés six mois avant l’incendie. Édifiant.
À l’autre bout du fil, des voix. Celles de centaines de sans-papiers enfermés, criant leur colère et leur désespoir. De janvier à juin 2008, des militants ont téléphoné, presque quotidiennement, à l’intérieur du centre de rétention administratif (CRA) de Vincennes. Patiemment, ils ont écouté, noté, enregistré les voix de ces étrangers, enfermés dans l’attente d’une probable expulsion. Ils publient aujourd’hui le recueil de ces témoignages (1). Retranscrites à l’état brut, sans commentaires, ces paroles racontent six mois de révolte permanente et permettent de comprendre pourquoi, le 22 juin 2008, des retenus mettaient le feu au plus grand centre de rétention de France.
En décembre 2007, alors qu’un début de mutinerie éclate à l’intérieur du centre de Vincennes, une quinzaine de militants, qui souhaitent aujourd’hui rester anonymes, décident d’appeler les cabines téléphoniques du centre pour parler aux sans-papiers retenus à l’intérieur. « On présentait notre démarche, racontent-ils. Les gens nous répondaient la plupart du temps. Il s’agissait de gens en lutte qui appelaient d’autres gens en lutte. » Un bulletin est alors créé et diffusé sur Internet. L’objectif politique des militants est clair : « Notre volonté n’est pas de dénoncer les conditions de rétention pour réclamer leur amélioration. Il n’y a aucun aménagement possible de ces lieux sinon leur destruction. »
Recueilli dans le livre, le quotidien des centres de rétention : « L’eau est froide, l’alarme sonne chaque soir entre minuit et une heure ; hier la nourriture était périmée, aujourd’hui, deux personnes vont devoir dormir par terre… » Les sans-papiers racontent aussi la peur de voir leur nom inscrit au tableau, le départ des retenus chaque jour pour les aéroports et les actes quotidiens de protestation : refus d’entrer dans les chambres, refus d’être comptés, refus de manger, altercations avec la police, etc. La révolte se fait souvent plus violente : grèves de la faim, automutilations et tentatives de suicide sont courantes.
Dans un tel climat, la mort (jugée naturelle, par la suite) d’un retenu tunisien, le 21 juin, met le feu aux poudres. La révolte gronde. Le 22 juin, le feu prend, réduisant le centre à un tas de cendres. Sa reconstruction n’a pas tardé : un bâtiment de 80 places ouvre aujourd’hui. Deux autres bâtiments devraient suivre, en 2009 et 2010. Une manifestation est prévue demain pour protester contre cette réouverture. Une campagne est lancée pour la libération des cinq retenus poursuivis pour « destruction de biens par l’effet d’incendie et violence à agent de la force publique » et incarcérés à Fleury et Fresnes. L’intégralité des bénéfices de l’ouvrage sera reversée pour financer leur défense.
(1) Feu au centre de rétention. Janvier-juin 2008. Des sans-papiers témoignent. Éditions Libertalia, 7 euros.
( de Marie Barbier- Source l'humanité )